Le petit texte qui suit a été écrit très rapidement et sans correction, le 24 avril 2002, cest-à-dire trois jours après le catastrophique premier tour de lélection présidentielle qui a placé Jean-Marie Le Pen en concurrence avec Jacques Chirac pour le second tour.
Cet après-midi, je devais me rendre à lHôpital Cochin, et je my suis rendu à pied, comme toujours. Cest à trois quarts dheure de marche de chez moi, et la promenade est très agréable. Dautant plus agréable quaujourdhui, il faisait beau. La ville, comme on dit, était en fête, et les gens avaient des airs de vacanciers.
À un moment, je me suis trouvé boulevard Saint-Germain, là où il coupe le boulevard Saint-Michel que je remontais, près du métro Cluny. Comme le feu était au rouge, beaucoup de piétons attendaient pour traverser. Jen ai fait autant, et je me suis mis à regarder les gens qui mentouraient. Mon attention a tout de suite été attirée par deux garçons. Dix-huit à vingt ans, rien de particulier, ni beaux ni laids. Sauf que, visiblement, ils saimaient. Comme lattente au feu était longue, soudain, ils se sont embrassés, sur la bouche, avec gourmandise et passion. Autour deux, personne ne les a dévisagés, tout le monde avait lair de trouver ça normal, deux amoureux qui sembrassent. Puis le feu est passé au vert, ils ont traversé, jai traversé aussi. Ils ont remonté le boulevard Saint-Michel. De temps en temps, ils se prenaient par la main, puis ils se lâchaient, puis ils se reprenaient...
Comme ils marchaient plus vite que moi, je les ai bientôt perdus de vue. Dommage. Jaurais aimé pouvoir leur dire que jétais heureux pour eux, que leur amour donnait autant de lumière que le Soleil, pourtant généreux ce jour-là, et que je les enviais. Jaurais aimé ajouter quils avaient bien de la chance de vivre dans un pays qui a enfin dépassé toute notion de discrimination, un pays dont la capitale sest donné un maire qui partage leur goût pour les garçons. Et, si javais osé, je leur aurais souhaité tout le bonheur possible.
Et je nai pas pu mempêcher de penser que, sous un autre régime que certains nous préparent, ils nauraient pas pu faire tout ça, que le Troisième Reich déportait les individus comme eux, et quil nous fallait tout faire pour ne pas retomber dans ces vieux errements nauséabonds.