Lenvahissante vogue des livres dun certain romancier portant comme par hasard le prénom révélateur JR(R) agace beaucoup JPM, surtout lorsque le cinéma en tire une trilogie qui envahit les salles et prive décran les bons films. Il sen revanche mesquinement ainsi :
Jules Roger René Tartemolle est lauteur du livre culte Le seigneur du guano. Cette uvre magistrale raconte lépopée dun jeune homme joliment prénommé Gaston-Charles. Alors que ce garçon très pauvre faisait du jetski au large de la Patagonie, une énorme vague le renversa ; il ne put regagner son yacht, et il disparut, si bien que ses amis le crurent noyé. En fait, Gaston-Charles survécut après avoir été sauvé in extremis par une pieuvre géante et pourvue de neuf tentacules, très rare à la surface du monde connu, mais qui venait en réalité dune cité sous-marine peuplée de mathématiciens et de houris à trois seins. Dans cet univers parallèle au nôtre, toutes les pieuvres ont neuf tentacules, ce qui démontre leur supériorité ; on les appelle dailleurs les « pieuvres par neuf », et elles font lobjet dune vénération spéciale, dite « vénération mythe errant » en raison de linstabilité géographique de ces animaux merveilleux et mythiques.
Après sa convalescence, Gaston-Charles est rendu à son monde : une tortue elle aussi géante le dépose sur une île déserte, entièrement recouverte de guano déposé là par des millions de mouettes épargnées par la contispation, ce fléau de la vie moderne. Là, Gaston-Charles comprend que la chance vient de passer à sa portée, et décide de la saisir aux cheveux. Arrêtant une tortue géante qui passait près du littoral (elles sont nombreuses dans la région), il se fait déposer sur le continent, parvient à regagner la civilisation, et se porte acheteur de lîle déserte moyennant une bouchée de pain. Puis il monte une exploitation du gisement de guano et devient richissime. À ses nombreux amis admiratifs, il ne cesse de répéter fièrement : « Tout va bien, je suis dans la merde ».
Hélas, il a un jour la malencontreuse idée de se faire construire une somptueuse résidence entièrement construite avec le matériau qui a fait sa fortune. À la première pluie, qui survient malencontreusement le soir même de la pendaison de crémaillère, son palais des Mille et Une Nuits fond comme une promesse électorale, le laissant, lui et ses invités, dans une gigantesque mare de fange malodorante.
Cet incident ruine sa réputation. Tout le monde lui tourne le dos, les actions de sa société seffondrent, il revend tout et décide de se retirer au désert, comme Alceste. On nentendra plus jamais parler de lui. Seuls, les petits enfants, parfois, réclament quon leur racontent lhistoire prodigieuse de Gaston-Charles, le seigneur du guano. Mais il nest pas encore question den faire un film. Lauteur avait stipulé, dans ses dernières volontés, que cela ne pourrait se faire que lorsque le cinéma serait enfin devenu odorant.
Son livre, en tout cas, est très beau. Non seulement lauteur a créé un univers, mais il a même créé un langage. En effet, le livre est entièrement écrit en smileys. Les douze mille cinq cents pages quil compte sont dailleurs très faciles à lire, grâce à un glossaire placé à la fin de louvrage, et qui recense les deux mille trois cent quatre-vingt-quatorze smileys entièrement originaux que lauteur a conçus afin dexprimer au mieux ses idées. Sur ce plan, on peut dire que la réussite est totale. On ne compte plus les fans de cette uvre géniale, qui ne sexpriment plus que de cette façon, correspondent entre eux via ce langage novateur et révolutionnaire, se réunissent lors de Rencontres Hebdomadaires dans des lieux tenus secrets, et se retrouvent tous, une fois par an, lors de Week-Ends Guano particulièrement réussis, dit-on.
Nombreux sont ceux qui estiment que le Prix Nobel de Littérature doit être décerné durgence à Jules Roger René Tartemolle. Si ce nest chose faite à lheure actuelle, il est évident quil sagit dun complot.