De temps à autre, loccasion se présentait de rédiger, non un message, mais un texte un peu plus long que dordinaire sur le forum du Fan Club de Friends. Ces textes de pure fiction étaient le plus souvent satiriques, et destinés aux initiés, car bourrés de private jokes. Avant quelques messages blagueurs, en voici deux. Le premier fait suite à un message de Franck, le président du Fan Club, qui pensait avoir rencontré son idéal féminin, et avait laissé éclater sa joie dans un communiqué tout britannique de ton, cest-à-dire laconique : « Je suis aux anges ». Voici ce que cette parole lapidaire inspira quelques jours plus tard à son tourmenteur.
Message 13169 : remis le 27/02/2001 à 23:47 par Lange Heurtebise
La Gazette du Paradis
Alerte rouge !
De notre correspondant.
La parution dune annonce
pour le moins sybilline dans le Forum du Fan Club Français de Friends,
situé sur Terre, a provoqué de vives réactions au Paradis.
En effet, le message 12507, daté du 22 janvier 2001, calendrier terrien,
se terminait par la phrase suivante : « Je suis aux anges ! »
Lauteur de ce message
ayant été identifié par les Services Spéciaux,
ce fait a déclenché un début de panique au sein de
la communauté angélique. On ne compte plus les anges qui ont
aussitôt sollicité leur mutation pour le Purgatoire. Interrogé,
lun deux nous a déclaré :
Le Paradis va devenir
invivable ! Lindividu qui déclare impudemment être aux
anges va exiger de sasseoir à la droite du Père, et
bientôt, nous en sommes persuadés, il voudra tout régenter.
Quentendez-vous
par là ?
Il ne faut pas nous
prendre pour des naïfs simplement parce que nous portons une robe blanche.
Avant peu, si nous acceptons cette cohabitation, les icônes des saints
devront être au format JPEG et avoir au maximum 350 pixels de large,
la charte graphique du Ciel sera complètement rénovée
par David, un infographiste du dix-neuvième siècle, les marges
entre les nuages seront interdites sous le fallacieux prétexte que
le Navigateur Divin ne les supporte pas, jen passe et des meilleures
!
Et les prières,
a surenchéri un autre ange, vous avez pensé aux prières
? Pas plus de trois Pater par période de vingt-quatre heures
terrestres, mais cest intolérable !
Un troisième locataire
du Paradis, un séraphin celui-là, désira intervenir
:
Tout ça est
vrai, mais pour la musique, ce sera pire !
Questionné par notre
reporter, il a aussitôt ajouté :
La musique sacrée
sera obligatoirement au format WAV ! Un vrai scandale ! Que vont devenir
nos churs MP3 ? Et savez-vous que les chants sacrés risquent
eux aussi de nous échapper ? On parle déjà de lexclusivité
qui sera accordée à une chanteuse terrienne au patronyme opportuniste
! Du jamais vu !
Quelle chanteuse
terrienne ?
Vanessa Paradis !
Et un archange qui passait
par là déclara en guise de conclusion :
Le Paradis, si cet
individu parvient à entrer ici, ça va devenir lEnfer
!
Il est juste de noter que
ce mouvement social naffecte pas la totalité du personnel paradisiaque.
Nous avons réussi à joindre larchange Gabriel, qui a
tenu à déclarer avec fermeté :
Pas question pour
moi de quitter le Paradis. Je dois veiller sur la Sainte ex-Vierge, et sur
mon fils adultérin, Jésus. Sil nen reste quun,
je serai celui-là !
Affaire à suivre,
par conséquent.
Message 12618 : remis le 28/01/2001 à 19:11 par Amerigo Vespucci (jpm@fanfr.com)
Loque à terre
Comme
Chandler et Joey, moi aussi jai un coloc. Mais jai moins de
chance que le duo Bing-Tribbiani, car le mien nest pas un cadeau.
Tenez, il ma même
interdit de citer son nom, crainte de se faire lyncher, sans doute. Pour
la commodité du récit, je ne donne par conséquent que
ses initiales : JPM.
Tout pour plaire, il a,
ce mec ! Dabord, cest un maniaque à tous les points
de vue. Par exemple, lorthographe. Vous ne pouvez pas imaginer jusquoù
il pousse lexcentricité. Ainsi, deux fois par an, il monopolise
la télé pour faire la dictée de Bernard Pivot (ah celui-là !
Vivement quil se casse et quon le remplace par Jamel). Des heures,
que ça dure, ce petit sketch ! Et après ça, naturellement,
il se vante dans tout limmeuble de navoir fait que douze fautes.
Tu parles dun exploit ! Notre concierge, la mère Curie
(je crois que je vous ai parlé delle une fois), me le dit souvent
en vrillant sa tempe dun index vengeur : « Il va pas
bien, votre petit copain ? ». Vexé, je lui réponds
chaque fois que cest PAS mon petit copain, que cest seulement
mon colocataire. Mais vous savez, quand votre réputation est faite !
Autant convaincre George W. Bush que Chirac nest pas de gauche...
La semaine dernière,
il (mais non, pas George Bush) sest avisé de corriger mon prénom
sur la plaque de notre boîte aux lettres : le graveur avait mis
un accent aigu sur le « e », alors quil nen
faut pas. Moi, je lavais même pas remarqué. Ou peut-être
que si, mais elle est là depuis des années, la plaque, et
je men foutais un peu... Alors il a barbouillé le bout de plastoc
avec un marqueur marron. Résultat, cétait pire quavant,
et ça se voyait davantage.
Cest comme le jour
où il a voulu corriger lorthographe de tous les tags du Forum
des Halles. Les flics lont pris pour un tagueur, évidemment,
et ils lont embarqué. Javais lair malin, moi, après,
daller le récupérer au commissariat. Le con, il voulait
quon appelle Jack Lang.
Et je ne voudrais pas médire,
mais si vous voyiez ses copains ! Pour réunir une telle collection
de tarés, il faudrait passer au crible tous les hôpitaux psychiatriques
de la région parisienne. Lautre jour, il nétait
pas là, je ne sais pas où il traînait ses guêtres,
dans le Marais ou à la Bibliothèque nationale, peu me chaut.
On sonne à la porte, cétait une fille. Je la connaissais
pas. Brune, pas mal, lunettes, assez sympa. Mais une fille, quoi !
Vous voyez à peu près ce que cest, je vais pas vous
pondre un reportage. Elle me dit quelle sappelle Manue et quelle
connaît JPM. Bon, moi, aimable, je la fais entrer, je lui laisse mon
fauteuil indonésien, je lui offre un jus de tomate, tout bien, quoi.
Et je commence à lui faire la conversation : la météo,
les Tiberi, la septième saison de Friends qui se fait attendre,
le dernier film de mon idole Bruce Willis. Mais je voyais bien que je lemmerdais,
son regard naviguait à droite et à gauche (et la navigation,
je connais !). Au bout dun moment, jarrête de parler
et je lui demande si elle voulait quelque chose de particulier. « Ben
en fait oui, quelle me répond, je cherchais la Bible ».
Merde, jen croyais pas mes oreilles ! Cette fille-là,
Manue, venait chez moi en espérant y trouver LA BIBLE !
Une autre fois, le JPM se
ramène à onze heures du soir avec un gars bizarre : un
mec grand, mince, le teint pâle genre moi-le-bronzage-je-trouve-ça-bon-pour-les-blaireaux,
les cheveux gris tondus presque façon skinhead, un nez pas
dans laxe comme sil sétait foutu sur la gueule
avec Mike Tyson. « Salut, jmappelle JB »,
quil me fait. Moi, vous me connaissez, toujours spirituel, je lui
demande sil est parent avec JB-000. Il grimace et ne répond
pas. Alors je lui dis que son nom me rappelle ma boisson favorite, un liquide
aux doux reflets ambrés dont les personnages de Dallas faisaient
à toute heure une consommation assidue. Il ricane, me réclame
un jus dorange et me remercie dun regard plus froid que celui
du requin dans Les dents de la mer. Le plus fort, cest quun
peu plus tard dans la soirée, tous les deux commencent à me
rejouer cette scène du même film, où Richard Dreyfuss
et Robert Shaw, à bord du bateau, sexhibent mutuellement leurs
cicatrices. Et les voilà tous les deux qui entament un strip-tease,
assis sur le canapé. Jétais gêné, vous
pouvez pas savoir. Surtout avec ce quils avaient, en fait de cicatrices !
JPM, une vague entaille au cou, et lautre, là, le JB, avec
juste quelques bouts de fil chirurgical qui dépassaient, une petite
incision de rien du tout à lendroit où Chandler avait
un truc en plus de ce que les garçons possèdent par paire
(si vous navez pas vu lépisode, je vous jure que ça
na rien de grivois, ce que je dis ; renseignez-vous). Bref, deux
exhibitionnistes, voilà ce que javais dans mon salon, moi,
si pudique !
Ensuite, le JB sest
pendu au téléphone, MON téléphone, sous le prétexte
que le forfait de son portable avait sombré corps et biens vers le
15 du mois. Cest vachement bien, le téléphone portable,
moi jen suis fou. Il peut servir à balancer à donf des
tas de conversations capitales du genre « Tes où ?
Devine doù jtappelle ?... Dis, tu sais pas
cquelle ma raconté Estelle ?... Y paraît
que Vanessa elle est plus avec Kevin !... Si si, jte dis... Non,
cest pas des conneries. Mainnant elle sort avec Johnny, si,
tu sais bien, le grand avec le piercing sur la langue, même quavant
il était avec sa sur... Non, pas sa sur à lui,
sa sur à elle... Comment, qui ça, elle ?...
Mais non, pas Estelle, Vanessa, mais timprimes pas, aujourdhui,
quest-ce que tas ?... Ah ! tas pas dormi ?...
Ben moi non plus, figure-toi, on est allés au Queen hier soir...
Non, pas avec Richard, cest fini avec lui... Pourquoi ? Comment
ça, pourquoi ? Jtavais bien dit qucétait
un enfoiré, Richard... Mais si, jte lai dit !...
Ah non ! tas raison, cétait pas à toi, cétait
à Nikie, la frangine à Kevin, cest vrai tu la connais
pas... ». Etc. Mais le jour où vous avez vraiment besoin
de téléphoner, genre ma grand-mère vient de se casser
le col du fémur, plus de forfait ! Faut appeler le SAMU de chez
lépicier arabe. Le téléphone portable, le premier
instrument de lère électronique conçu pour faire
le contraire de ce quon attend de lui.
Après ça,
les deux « J », ils nont pas cessé de
boire et déchanger des vantardises, sur le mode moi-je-sors-beaucoup-et-je-connais-des-tas-de-célébrités.
Et que jattaque avec Karl Zéro, et que je riposte avec Line
Renaud, et que je contre-attaque avec Stéphane Bern, et que je surenchéris
avec Lara Fabian, et que jabats mon atout avec Didier Porte, et que
je tente de técraser avec Darren Hayes, et que je case ma rencontre
historique avec Jacques Brel, et que jabats mon brelan avec ma poignée
de main à Marc-Olivier Fogiel, et que je tente le K.O. avec celle
que ma donné James Ellroy, et que je tachève avec
ma conversation dans un ascenseur avec Michael Douglas. Ces deux guignols
ont fini par scier ma patience, qui est grande, comme me le faisait récemment
remarquer mon copain Alex 1651 (il est dascendance royale). Bref,
je suis allé me pieuter.
Le lendemain matin, à
mon grand soulagement, ils sétaient barrés. Mais ils
avaient vidé mon stock de jus dorange.
Vous connaissez pas un deux-pièces
à louer dans le quartier des Halles ? Pas cher ?
Message 15053 :
remis le 7/05/2001 à 19:25 par Amerigo Vespucci (jpm@fanfr.com)
Madame Antoinette Pichon, veuve dun employé du gaz, possédait
un caniche nommé Dickie. Devenue trop âgée, sa santé
la contraignit à se séparer de son petit compagnon à
quatre pattes. Chagrinée, elle le confia à sa fille, qui habitait
Lille.
Hélas, le petit chien
ne put shabituer à sa nouvelle vie, et se languissait de son
ancienne maîtresse. Si bien quun beau matin, il senfuit.
Durant des jours, des semaines,
des mois, lanimal chemina de ses petites pattes, par monts et par
vaux. Son instinct le poussait à retrouver le domicile de la bonne
madame Pichon, qui laimait tant.
Cest ainsi quun
soir doctobre, il parvint enfin dans les faubourgs de Bordeaux.
Malheureusement, madame
Pichon, depuis toujours, vivait à Nice.
Pour la petite histoire, ce conte express fut pris au sérieux par un dénommé Adolph, qui sétonna une heure plus tard, avec une exquise délicatesse :
Mais alors, pourquoi Dickie sest fait chier à aller à Bordeaux alors que sa maîtresse vivait à Nice?
Je croyais que les chiens et même les chats étaient capables de retrouver la piste de leur maître (dommage pour les connards qui les abandonnent en forêt!) et de se laisser mourir sur la tombe de leur maître.
On a les lecteurs quon mérite !...
JPM sexprime parfois hors du forum, et la crapoteuse émission de M6, Loft Story, lui en fournit loccasion. Mais, dédaignant les vannes quune armée dhumoristes déversa sur ce spectacle honteusement truqué, il préféra y voir la réalisation dune idée de... Marivaux. Cest ainsi que son ami Didier Porte reçut un jour ce pastiche de ses chroniques matinales sur Ouï-FM :
Mon ptit Josquin, je vous le dis tout net : les astuces vaseuses par lesquelles vous annoncez ma chronique tous les jours que Dieu fait (et Il sait sIl en fait !) ne seront bientôt plus quun souvenir. En effet, je vous prédis que dans quelques minutes, vous noserez plus vous abstenir de me manifester la considération qui est due moins à mon prétendu grand âge quà la gratitude incommensurable que je vais vous inspirer et qui vous incitera, je nen doute pas une seconde, à me baiser les pieds de reconnaissance éperdue. Et ne me rétorquez pas quon baise ce quon peut, comme Jean-Édouard la récemment prouvé avec Loana. Dune part, il ny a pas de piscine dans ce studio, et dautre part, cette réplique serait le comble du mauvais goût ; or le mauvais goût na pas droit de cité sur cette antenne même si Picasso prétendait que le bon goût na rien à voir avec lart.
Oui, Josquin, remerciez votre tonton Top, qui, avec sa magnanimité coutumière, à laquelle seule peut être comparée la chatoyance de son talent proverbial, va enfin relever le niveau de votre culture jusquici quelque peu défaillante. Il était temps. Notez en passant, chers auditeurs, que ce geste de simple humanité fondamentalement empreint de solidarité bienveillante est accompli par votre serviteur de manière tout à fait bénévole. Certes, Michael Gentile, qui dirige cette station dune main de velours dans un gant de fer, a bien tenté, par gratitude au vu des pointes himalayesques recensées par lAudimat à cette heure matinale sur Ouï-FM, de me faire accepter une augmentation propre à faire passer mes émoluments du niveau actuel, celui dun travailleur immigré venu du Glanbadesh (comme dirait Steevy), et contraint à marner douze heures par jour dans une cave du Sentier pour la plus grande gloire du prêt-à-porter hexagonal, à celui du manuvre tunisien, payé au noir mais ayant la chance de travailler au grand air sur un chantier des Grands Travaux de la République ; un véritable pont dor, par conséquent et pour rester dans les BTP. Mais vous me connaissez, désintéressé jusquà ce niveau dabnégation qui ferait passer labbé Pierre pour un émule de loncle Picsou, jai repoussé loffre de notre bien-aimé directeur, dune munificence qui risquait de compromettre les finances de votre radio préférée, déjà mises à mal par les audaces inouïes de son très innovant service informatique. Au reste, les cachets mirobolants que me verse le Point-Virgule, où je passe du mercredi au samedi à 22 heures 15, et ce jusquau 14 juin, me permettent de vivre sur le standing qui convient à ma notoriété, de renouveler fréquemmment ma garde-robe, de fréquenter avec assiduité les instituts de fitness les plus en vogue, et même parfois de faire le plein de gazole pour ma 309 diesel. Je puis par conséquent faire preuve de ce détachement quasi-bouddhiste des biens matériels poussé jusquà lextrême, qui a fait ma juste réputation dans les milieux artistiques et circumvoisins. Mais revenons au sujet qui nous occupe.
Josquin, mon ptit bonhomme, vous ne lignorez pas, on na rien sans rien ; je vais donc vous prier de répondre à cette question, dailleurs sur toutes les lèvres : savez-vous qui est le véritable inventeur du concept de Loft Story ? Comme dans Voulez-vous gagner des millions ?, et sachez que je me sens tout à fait à laise dans le rôle de Jean-Pierre Foucauld, je vous laisse le choix entre quatre réponses. Donc, soyez attentif, voici ces quatre possibilités. Réponse A : Thierry Ardisson ; réponse B : Arthur ; réponse C : Marivaux ; réponse D : Obiwan Kenobi. Attention, réfléchissez. Vu limportance de lenjeu, vous navez droit à aucun joker et ne pouvez pas téléphoner à un ami.
(Ici, une alternative : si Josquin donne la bonne réponse, cest-à-dire Marivaux, passer à >>> MARIVAUX. Sil donne une autre réponse, continuer ci-dessous)
Eh bien... Mauvaise réponse ! Vous avez perdu, nos auditeurs sont témoins, et il ny aura pas de session de rattrapage. En outre, vous devez une tournée générale. Il fallait répondre : linventeur du concept de Loft Story était Pierre Carlet, alias Marivaux, 1688-1763, illustre dramaturge et académicien, auteur entre autres des Fausses confidences et du Jeu de lamour et du hasard.
(Passer à >>> SUITE)
>>> MARIVAUXJosquin, vous avez répondu « Marivaux », et vous avez... gagné, à la surprise générale de ceux qui vous connaissent bien ! Linventeur du concept de Loft Story était en effet Pierre Carlet, alias Marivaux, 1688-1763, illustre dramaturge et académicien, auteur des Fausses confidences et du Jeu de lamour et du hasard. Dites-moi, comment avez-vous deviné ? Il y a un truc ?
>>> SUITE
À ce stade, nos auditeurs sont en droit de se demander si je nai pas abusé du romanet-conti, ou si Doc Gynéco ne ma pas refilé son stock de pure colombienne. Eh bien non, en dialecticien chevronné, je navance rien que je ne puisse démontrer. Figurez-vous en effet que Marivaux est lauteur dune pièce en un acte, La dispute, qui a été jouée une seule fois de son temps, en 1744, et na pas été reprise en raison du bide quelle sétait ramassé à cette époque. La Comédie-Française attendra près de deux siècles avant de la rejouer, et la pièce a rendu célèbre Patrice Chéreau, qui la mise en scène voici un quart de siècle. Or, que racontait La dispute ? Ouvrez bien vos oreilles.
Le Prince dun pays bien sûr imaginaire, et dans un lointain passé puisque cette idée ne pourrait germer dans lesprit dun véritable dirigeant des temps modernes, avait eu le désir de trancher une question qui sétait posée à sa cour : à savoir, qui, des hommes ou des femmes, avaient le plus de prédisposition pour linconstance amoureuse ? Il avait donc fait élever dans lisolement le plus total une demi-douzaine denfants, trois garçons et trois filles, pris au berceau. Enfermés dans six maisons différentes, éduqués séparément et dans lignorance que les autres existaient, par des serviteurs noirs donc nappartenant pas au genre humain, ces jeunes gens étaient rendus à la liberté à lâge de dix-huit ans, et, constamment observés à leur insu, dès cet instant servaient de cobayes pour une expérience de psycho-sociologie en grandeur réelle. Ils ne tardaient pas à se rencontrer ; les deux premiers couples qui se formaient ne tardaient pas davantage à se déliter, comme on sen doute, mais le troisième couple se révélait dune fidélité en béton armé, ce qui permettait à Marivaux de conclure... quon ne pouvait rien conclure.
Bien sûr, ce pauvre Marivaux, sans doute en raison de son absence totale de savoir-faire (il naurait pas tenu un trimestre à la direction des programmes de M6), navait pas été capable de concevoir des caractères aussi marqués que ceux de Loana, de Jean-Édouard, de lintello Philippe ou de Laure, la JR du groupe, et son manque dimagination ne lui avait pas permis de prévoir quun jour, aux environs de 1980, naîtrait un Steevy, dont la fidélité à son Bourriquet et son attachement à sa maman et à son coiffeur auraient pu lui inspirer de bien belles pages. Il faut dire, fatale carence, que notre académicien ne faisait pas dans lanticipation. Cest comme ça chez les classiques, il leur manquera toujours quelque chose pour plaire aux masses populaires. Aujourdhui, Dieu merci, on sait faire preuve daudace imaginative, je ne désespère donc pas de voir les concepteurs de Loft Story entrer un jour à lAcadémie Française.
À demain.
Lenvahissante vogue des
livres dun certain romancier portant comme par hasard le prénom
révélateur JR(R) agace beaucoup JPM, surtout lorsque le cinéma
en tire une trilogie qui envahit les salles et prive décran
les bons films. Il sen revanche mesquinement ainsi :
Jules Roger René Tartemolle est lauteur du livre culte Le seigneur du guano. Cette uvre magistrale raconte lépopée dun jeune homme joliment prénommé Gaston-Charles. Alors que ce garçon très pauvre faisait du jetski au large de la Patagonie, une énorme vague le renversa ; il ne put regagner son yacht, et il disparut, si bien que ses amis le crurent noyé. En fait, Gaston-Charles survécut après avoir été sauvé in extremis par une pieuvre géante et pourvue de neuf tentacules, très rare à la surface du monde connu, mais qui venait en réalité dune cité sous-marine peuplée de mathématiciens et de houris à trois seins. Dans cet univers parallèle au nôtre, toutes les pieuvres ont neuf tentacules, ce qui démontre leur supériorité ; on les appelle dailleurs les « pieuvres par neuf », et elles font lobjet dune vénération spéciale, dite « vénération mythe errant » en raison de linstabilité géographique de ces animaux merveilleux et mythiques.
Après sa convalescence, Gaston-Charles est rendu à son monde : une tortue elle aussi géante le dépose sur une île déserte, entièrement recouverte de guano déposé là par des millions de mouettes épargnées par la contispation, ce fléau de la vie moderne. Là, Gaston-Charles comprend que la chance vient de passer à sa portée, et décide de la saisir aux cheveux. Arrêtant une tortue géante qui passait près du littoral (elles sont nombreuses dans la région), il se fait déposer sur le continent, parvient à regagner la civilisation, et se porte acheteur de lîle déserte moyennant une bouchée de pain. Puis il monte une exploitation du gisement de guano et devient richissime. À ses nombreux amis admiratifs, il ne cesse de répéter fièrement : « Tout va bien, je suis dans la merde ».
Hélas, il a un jour la malencontreuse idée de se faire construire une somptueuse résidence entièrement construite avec le matériau qui a fait sa fortune. À la première pluie, qui survient malencontreusement le soir même de la pendaison de crémaillère, son palais des Mille et Une Nuits fond comme une promesse électorale, le laissant, lui et ses invités, dans une gigantesque mare de fange malodorante.
Cet incident ruine sa réputation. Tout le monde lui tourne le dos, les actions de sa société seffondrent, il revend tout et décide de se retirer au désert, comme Alceste. On nentendra plus jamais parler de lui. Seuls, les petits enfants, parfois, réclament quon leur racontent lhistoire prodigieuse de Gaston-Charles, le seigneur du guano. Mais il nest pas encore question den faire un film. Lauteur avait stipulé, dans ses dernières volontés, que cela ne pourrait se faire que lorsque le cinéma serait enfin devenu odorant.
Son livre, en tout cas, est très beau. Non seulement lauteur a créé un univers, mais il a même créé un langage. En effet, le livre est entièrement écrit en smileys. Les douze mille cinq cents pages quil compte sont dailleurs très faciles à lire, grâce à un glossaire placé à la fin de louvrage, et qui recense les deux mille trois cent quatre-vingt-quatorze smileys entièrement originaux que lauteur a conçus afin dexprimer au mieux ses idées. Sur ce plan, on peut dire que la réussite est totale. On ne compte plus les fans de cette uvre géniale, qui ne sexpriment plus que de cette façon, correspondent entre eux via ce langage novateur et révolutionnaire, se réunissent lors de Rencontres Hebdomadaires dans des lieux tenus secrets, et se retrouvent tous, une fois par an, lors de Week-Ends Guano particulièrement réussis, dit-on.
Nombreux sont ceux qui estiment que le Prix Nobel de Littérature doit être décerné durgence à Jules Roger René Tartemolle. Si ce nest chose faite à lheure actuelle, il est évident quil sagit dun complot.
Lettre à deux amoureux
(À la manière de Guy Carlier)
Cet après-midi, je devais me rendre à lHôpital Cochin, et je my suis rendu à pied, comme toujours. Cest à trois quarts dheure de marche de chez moi, et la promenade est très agréable. Dautant plus agréable quaujourdhui, il faisait beau. La ville, comme on dit, était en fête, et les gens avaient des airs de vacanciers.
À un moment, je me suis trouvé boulevard Saint-Germain, là où il coupe le boulevard Saint-Michel que je remontais, près du métro Cluny. Comme le feu était au rouge, beaucoup de piétons attendaient pour traverser. Jen ai fait autant, et je me suis mis à regarder les gens qui mentouraient. Mon attention a tout de suite été attirée par deux garçons. Dix-huit à vingt ans, rien de particulier, ni beaux ni laids. Sauf que, visiblement, ils saimaient. Comme lattente au feu était longue, soudain, ils se sont embrassés, sur la bouche, avec gourmandise et passion. Autour deux, personne ne les a dévisagés, tout le monde avait lair de trouver ça normal, deux amoureux qui sembrassent. Puis le feu est passé au vert, ils ont traversé, jai traversé aussi. Ils ont remonté le boulevard Saint-Michel. De temps en temps, ils se prenaient par la main, puis ils se lâchaient, puis ils se reprenaient...
Comme ils marchaient plus vite que moi, je les ai bientôt perdus de vue. Dommage. Jaurais aimé pouvoir leur dire que jétais heureux pour eux, que leur amour donnait autant de lumière que le Soleil, pourtant généreux ce jour-là, et que je les enviais. Jaurais aimé ajouter quils avaient bien de la chance de vivre dans un pays qui a enfin dépassé toute notion de discrimination, un pays dont la capitale sest donné un maire qui partage leur goût pour les garçons. Et, si javais osé, je leur aurais souhaité tout le bonheur possible.
Et je nai pas pu mempêcher de penser que, sous un autre régime que certains nous préparent, ils nauraient pas pu faire tout ça ; que le Troisième Reich déportait les individus comme eux, et quil nous fallait tout faire pour ne pas retomber dans ces vieux errements nauséabonds.