Début mai 2001, la chaîne de télé M6 lance son émission Loft Story. Tout le pays en débat ; chacun, sur un ton passionné, donne son opinion ; mais JPM se démarque par une analyse légèrement différente.
On en est loin :
- Les acteurs ont été rigoureusement sélectionnés. Choisis parmi 38 000 candidats, sur leur physique (avez-vous remarqué la ressemblance de Loana avec Ophélie Winter ?), leur absence doriginalité (il faut que le maximum de téléspectateurs sidentifient à eux), leur médiocrité (même motif) et bien sûr leur âge (celui du public de M6), ils ne doivent surtout pas aimer lire (ce nest pas spectaculaire) ni apprécier la bonne musique (catastrophe sils se mettaient à en écouter : les téléspectateurs ne suivraient pas).
- Les circonstances sont à des années-lumière de la vie réelle : enfermement, omniprésence des micros, des caméras... et bien sûr des techniciens qui les pilotent ; consignes données par le « propriétaire » ; défis quotidiens (organiser un karaoké, un concours de maquillage, etc.) ; « confessionnal » ; élimination hebdomadaire dun candidat, avec lhumiliation que vous imaginez ; nature ultra-conformiste du but final (un couple hétérosexuel doit se former, puis mener une vie commune durant six mois afin de gagner une maison) ; black-out sur les événements de lextérieur ; existence dun contrat draconien avec la chaîne, digne dun engagement dans les services secrets, en outre observé à sens unique (la chaîne a modifié la règle alors que le jeu était déjà engagé).
- Jeu biaisé : M6 fabrique de toutes pièces des vedettes (?) futures, et un contrat dexclusivité a été signé avant lengagement définitif des candidats. Autrement dit, même après le jeu, ils ne sont pas libres daller, par exemple, sur TF1. David, le premier parti, a raconté quil lui était interdit de dévoiler certains aspects de son contrat.
Dans la mesure où le voyeurisme consiste à observer le comportement de personnes à leur insu, il ny a ici aucun voyeurisme : les candidats se comportent comme des acteurs, tout à fait conscients dêtre filmés. En outre, tout le monde a compris depuis longtemps quon ne verrait strictement rien sur M6, puisque les séquences sont montées et que la chaîne ne diffuse que ce quelle veut bien montrer.
Contrairement à la quasi-totalité de la presse, je ne qualifierai pas les filles de « pouffes » ni les garçons de « gogo-boys ». En fait, ils sont identiques à la majorité des gens de leur génération. Il est vrai quaucun dentre eux ne présente quoi que ce soit de remarquable, mais aucun non plus nest débile ou antipathique. Leurs motivations profondes pour se trouver ici nont certes rien de glorieux : appât du gain et désir de devenir célèbre. Mais enfin, cest assez courant et ça ne mérite pas dêtre montré du doigt. Et ils se rachètent, si tant est quils doivent le faire, en ruant dans les brancards (voir plus bas, section « Censure »).
Le peu de considération quon pouvait avoir pour une chaîne de télé qui produisait dassez bonnes émissions comme Capital ou Culture-Pub disparaît devant cette opération sordide, où le fric est le seul moteur. En effet, pour voir les scènes croustillantes, les amateurs doivent sabonner à TPS, chaîne payante sur le satellite, et consulter les séquences vidéo sur Internet, en payant là encore. Les candidats sont donc exploités sans scrupules (et fort mal rétribués : David, qui est parti, a touché cinq mille francs, et il na pas le droit de parler ; sil le fait, il écopera dun procès, le perdra presque à coup sûr, et ça lui coûtera de largent !). Le téléspectateur aussi est exploité, puisquil doit payer pour voir et entendre. Si cest un adulte, il sait ce quil fait. Mais beaucoup denfants regardent, et ruinent ensuite leurs parents en téléphone ou connexion Internet dans lespoir de tomber sur une séquence graveleuse.
Voici quelques faits que M6 a « oublié » de porter à votre connaissance :
- La règle du jeu na pas été entièrement dévoilée aux candidats, malgré ce qua prétendu M6. Ainsi, Philippe ne savait pas que les apartés à lintérieur du confessionnal étaient filmés. Lorsquil la appris une fois enfermé, il a confié à un compagnon : « Puisque cest comme ça, je ne dis plus rien dans le confessionnal ». Scène quon a pu surprendre sur TPS.
- La diffusion sur TPS na pas lieu en direct, mais avec un retard de 2 minutes 45 secondes. Il sensuit quen cas dévénement indésirable, la chaîne procède à une censure immédiate par le biais de prétendus incidents techniques, ou en sélectionnant un ensemble caméra-micros qui ne montre rien. Voici dailleurs trois exemples de censure :
* une conversation à table, le soir, et dont les téléspectateurs (payants, rappelons-le) nont rien vu et rien entendu, car la caméra fixait obstinément... la piscine vide ;
* le début de lannonce de David, expliquant à ses compagnons pourquoi il sen va, et dont limage se fige brusquement et pour de longues secondes ;
* révolte passée à léteignoir. Vous lignorez peut-être, mais le studio où se trouve Benjamin Castaldi est contigu au loft, et mal insonorisé. Jeudi dernier, alors quil était en train de raconter quAziz avait annoncé son désir de se marier avec Kenza et de partir immédiatement, on a pu voir les candidats, de lautre côté de la cloison, écouter son discours, quon entendait parfaitement, puis éclater de rire. Les quolibets ont alors jailli : « Castaldi, ton émission, cest de la merde ! Castaldi, arrête de dire des conneries ! ». La plus déchaînée était précisément Kenza. À ce moment, le son est opportunément « tombé en panne » !