Sans doute à la suite dune cabale fomentée par des jaloux, envieux de ses succès multiples, JB se voit exclu des Services secrets de notre beau pays. Mis brutalement au chômage comme un simple ouvrier ou une naïve Jupette, il se résoud à linévitable : exploiter ses archives en vendant au plus offrant le procédé de fabrication dune boisson pétillante vendue dans le monde entier, et dont, par souci de ne point lui causer de tort, nous tairons ici le nom.
Outre le souci de son avenir professionnel, JB avait une autre préoccupation. Nous ne vous lavions pas révélée jusquici, car notre récit se consacrait exclusivement à vous rapporter les faits et gestes de lhomme daction, non ceux de lhomme privé. Sa préoccupation tenait en ceci, que sa liaison avec la douce Natacha était secrète elle aussi. En dautres termes, la belle enfant navait jamais osé avouer à ses parents quelle se berçait de lamour de JB. Comment eussent-ils réagi, ses parents ? Nul ne le sait. Mais enfin, il faudrait bien quun jour, nos amoureux portent à la connaissance dautrui le doux lien qui les unissait. Au reste, seul le mariage, qui reste la plus respectable des institutions, leur paraissait envisageable : jamais ils neussent vécu dans le péché ! Mais nous verrons cela un peu plus tard.
Karl Nivorr, le président de Mortendi International, puissante multinationale née de la fusion entre la Maréchale des Eaux et les studios hollywoodiens International, ainsi que de lacquisition dune foule de firmes concurrentes, régnait, comme on dit, « sur un empire ». Cet homme au physique poupin, encore assez jeune, et qui, naguère haut fonctionnaire, avait préféré quitter le service de lÉtat pour aller pantoufler dans le privé, sétait vu très rapidement propulsé, grâce à ses relations dans le monde des affaires, à la tête dune des sociétés les plus riches du pays. Doté dun appétit de pouvoir insatiable, il avait en quelques courtes années jeté son dévolu sur le téléphone fixe avec le 77 de Bégaie-Tél, sur le téléphone portable en créant la compagnie SNCFR, sur les journaux avec « Le Rapide », sur Internet avec son portail Devisu, sur la télévision avec la chaîne Canard Moins, sur lenvironnement avec Mortendi Environnement, sur... La liste serait longue, aussi longue que ses canines. Il venait au surplus de publier un livre quil avait fait écrire par un nègre spécialisé dans les biographies de golden boys, et quil avait cru judicieux dintituler de son surnom, dont il se montrait curieusement fier, « K7N » : cela faisait, croyait-il, fort américain. Était-il seul à ne point savoir que ses employés, depuis ses directeurs généraux jusquau plus humble des grouillots, ne le désignaient jamais autrement que par le surnom désobligeant de « Gros Pétard » ?
Faux humaniste affecté, de surcroît nouveau démagogue, ce qui expliquait sa maladresse voyante dans le domaine de sa propre « communication », il avait eu la sottise de se départir, le temps dune interview, de son principe habituel consistant à ne jamais laisser entrevoir le moindre détail de sa vie privée sa famille vivait en province, dans un château du sud-ouest , et de se laisser photographier déchaussé, affectant de lire dans la chambre de son domicile parisien, avec un trou à sa chaussette. Le pays entier en avait fait des gorges chaudes, et il sen était revanché, non sans mesquinerie, en faisant discrètement tomber quelques têtes dans son entourage de conseillers en image.
Cet homme daffaires, quon croyait avisé, sétait encore fait rouler dans la farine par le plus inattendu des concurrents : un ancien porte-parole des « sans-papiers » de léglise Saint-Bernard, qui avait la prescience et la lumineuse idée, avec deux amis, de déposer le nom « devisu.com » ; de sorte que, lorsque K7N voulut créer son propre portail pour Internet destiné à sa compagnie de téléphonie mobile, et quil se mit en tête de le baptiser précisément du même nom, il dut le racheter pour une somme colossale à lancien immigré clandestin ! Joli coup du sort, et belle revanche de lex-défavorisé...
Ces déboires humiliants navaient pas entamé sa soif daccroître les possessions de sa firme. Et justement, puisquil est question de soif, notre homme venait de décider, et de faire entériner cette décision par son conseil dadministration, la création dune nouvelle branche dactivité, consistant à se lancer dans le commerce des boissons sans alcool il venait de revendre, image oblige, une marque de boisson alcoolisée, Viagram. Dans le milieu des affaires, le bruit avait couru de cette diversification, et la chose était parvenue aux oreilles de JB, notre héros jusquici sans tache. Celui-ci avait bondi sur loccasion (les cons disent « opportunité »). Cest ainsi quayant fait jouer ses propres relations en vue de décrocher un rendez-vous, il se retrouva un certain soir face au carnassier.<*
Quelle sera lissue de cette entrevue ? JB saura-t-il vendre son secret ? Que sera son avenir, et celui de son aimée ? Cest ce que vous saurez sans trop tarder, si vous nous retrouvez ici pour le prochain épisode.
En attendant, ne fumez pas au lit, ou les cendres qui tomberont sur votre tapis pourraient bien être les vôtres.