Certes, certes, vive la Rentrée, car lété 1995 a été morne. Pourtant, consolons-nous, il sest révélé fertile en conneries de toutes sortes, et cest bien lessentiel.
Essais nucléaires tout dabord.
On pouvait lire dans « Le Canard Enchaîné » du 9 août que Jacques Chirac, dont létat actuel de président à lÉlysée ne cessera jamais de nous émerveiller, était furieux contre ses conseillers et contre les diplomates et militaires qui ne lont pas averti. Averti de quoi ? Mais que son annonce de reprendre les essais nucléaires dans le Pacifique allait tomber on ne peut plus mal : juste avant le cinquantième anniversaire des bombardements dHiroshima et de Nagasaki, pile-poil.
Ainsi, lhomme théoriquement le mieux informé du pays ignorait que les Américains avaient bombardé le Japon en août 1945... Sait-il, au moins, quil a été élu chef de lÉtat en mai dernier ?
À part ça, si vous avez eu la velléité de voyager, histoire daller vous rôtir la couenne dans un quelconque stalag des bords de mer, peut-être avez-vous eu lidée saugrenue de prendre le train. Loin de moi lintention de tirer une fois de plus sur une ambulance, fût-elle sur rails, mais enfin, après SOCRATE, limmortel procédé de réservation qui a fait sa renommée dans le monde entier, la SNCF (Société Nationale des Charlots Français) a su, cette année encore, rester à la hauteur de sa réputation. Cest ainsi que, me trouvant le 7 août à Rennes, jai tenté de faire cracher à un distributeur automatique un billet pour mon train, qui partait cinq minutes plus tard. Bernique ! Alors que, dordinaire, cette machine refuse les paiements par carte bancaire au-dessous de cent francs, ce jour-là, cétait les paiements supérieurs à cent francs qui étaient tricards. Pas de bol, mon billet en coûtait cent dix-sept, et les deux seuls guichets ouverts étaient assaillis de clients frustrés. Il ma donc fallu, contraint et forcé, prendre le train sans billet. Eh bien, le contrôleur auquel je me suis présenté sur le quai, avant même de glisser un escarpin dans le train, a prétendu exiger que jallonge cinquante francs de supplément, au titre dune indemnité dite « libératoire » ; ce qui, en langue de bois, signifie payer pour éviter les poursuites judiciaires. Et cela, en vertu, si lon peut dire, dun décret, accrochez-vous, du 22 mars 1942, date qui justifie sans doute le mot « libératoire ». Admirable référence : vous savez bien, 1942, la belle époque où les trains sénécéfiens assuraient également le transport dune certaine catégorie de touristes vers daccueillantes villégiatures polonaises, où le chauffage était gratuit. Comme jai refusé de casquer, et même de présenter mes papiers vu quun contrôleur de train nest pas officier de police, menace ma été faite de recourir aux flics dès la prochaine gare.
Voyageurs qui vous trouverez un de ces jours dans le même cas, ne vous laissez pas intimider par le bluff : la police, qui nest dailleurs pas présente dans les gares de province, a autre chose à foutre que de débarquer des voyageurs nayant rien à se reprocher. Contre les oukases de la SNCF, Français, traînez les pieds ! Vous irez peut-être même plus vite quen chemin de fer.
Parlons un peu de létranger, ça nous changera. Chez Saddam Hussein, tout va très bien, merci : après ses deux gendres, qui se sont fait la malle chez un autre Hussein, mais celui de Jordanie, voilà-t-il pas que son fils aîné, histoire de fêter lanniversaire de la fin de la guerre Irak-Iran, sest mis à tirer des coups de feu « en lair », selon la très crédible version officielle. Bilan du tir de joie : le demi-frère de Saddam, sa femme, son fils et trois de ses gardes du corps envoyés au tapis, dont au moins trois morts dun excès de gaieté ! On sait rire, chez les Hussein. Pour avoir ainsi réceptionné des balles tirées en l’air, faut-il comprendre que les victimes s’envoyaient en l’air, elles aussi, au moment de l’impact ?
Au chapitre « Deux poids-deux mesures », la chanteuse Nina Simone celle qui avait si bien massacré la chanson la plus connue de Brel, Ne me quitte pas a, elle aussi, flingué, mais cétait un garçon de quinze ans, et avec un pistolet à grenaille, sous le prétexte que le petit salaud se baignait dans sa piscine à elle, et sans y avoir été convié. Si la dame, au lieu de crécher dans une villa de la Côte dAzur, avait logé dans une HLM de banlieue et navait pas fait partie du show-biz, elle aurait aussitôt connu la paille humide des cachots, tout comme le premier retraité insomniaque venu, coupable du même délit. Pas elle, qui ne risquait, nous a-t-on révélé, quune simple condamnation à une amende pour détention darme. Cest une excellente conception de légalité républicaine, et lon devrait étendre son champ dapplication, en Bosnie par exemple. En tout cas, la saison des passe-droits sannonce bien.
Il est vrai quavec le logement dAlain Juppé, elle avait démarré très fort. Je confesse que jai beaucoup aimé le sketch du Premier ministre, affirmant quil navait rien à se reprocher, puisquil ne sétait pas caché doccuper à prix... disons, modéré, un logement de la Ville de Paris, géré par un service municipal quil dirigeait lui-même à lépoque des faits. Tout le monde, a-t-il fait remarquer avec une logique imparable qui n’a pas été sans nous rappeler celle de Georges Marchais, pouvait « constater » quil habitait à cet endroit, puisque son nom figure sur la boîte aux lettres de limmeuble. Cest évident, cher Alain ! Il doit y avoir, à Paris intra muros, quelque chose comme un million de boîtes aux lettres, et chacun sait que les Parisiens nont rien dautre à foutre que de les recenser lune après lautre pour savoir où perche le Premier ministre. À condition de franchir le portail, protégé par un code électronique...
Quoi encore ? Ah oui ! Madelin ! Jaime beaucoup Madelin, avec sa tête daristo à enficher sur une pique. Pour justifier son offensive contre les « privilégiés » du RMI (revenu minimal dinsertion, pour les distraits), Madelin avait raconté quune famille de chômeurs érémistes avec deux enfants touchait, grâce aux allocations familiales, davantage quune famille identique bossant au SMIC (salaire minimal interprofessionnel de croissance, pour les amnésiques. Et bonjour le charabia administratif). Or, son propre ministère a démenti ces propos avec un certain courage, quoique après son départ, et a publié dautres chiffres, que je vous épargne. Mais pourquoi jouer les étonnés ? Ce nest pas la première fois quun ministre bidonne en voulant « communiquer », comme on dit. Madelin nous rejoue « La Voix de Son Maître », en fait. Rappelez-vous, lors de la première cohabitation : Chirac, à lépoque Premier ministre, était allé renifler les « odeurs » des immigrés maghrébins dans le quartier de la Goutte dOr, là où habite également Jacques Ramade, mais ça na rien à voir. Et il nous avait bercés dun merveilleux conte des Mille et une Nuits, duquel il ressortait quune famille arabe, dont le père était chômeur, mais ne chômait pas au lit puisquelle comptait douze enfants, se faisait dans les vingt-cinq mille balles par mois rien quavec les allocs. Alléchés par la belle histoire, les journaux se sont évertués à retrouver dans le quartier une famille de ce calibre, sans y parvenir. Et les services du Premier ministre Chichi sétaient montrés incapables de dire où leur patron avait pêché ça. Bref, lhistoire se répète. En tout cas, viré depuis, Madelin aura au moins appris quelque chose : que lexpression « avantages acquis » désigne un truc dont on ne doit pas parler sous peine de se faire congédier du Gouvernement. À bon entendeur...