Lorsquon est, tel votre serviteur (cest une image : nen déduisez pas que je suis prêt à me rendre chez vous pour y récurer votre vaisselle de la veille et battre vos tapis) Je reprends : lorsquon est, comme votre serviteur, un rationaliste à lesprit étroit et au cur desséché, quils disent, on arpente rarement les trottoirs de TF1. Cest dire si les soirées dans le genre de celle que je me suis farcie mercredi, fondées sur lirrationnel ou le reportage bidon, se bousculent peu dans les pages de mon agenda. Moins encore que celles où lémotion préfabriquée tient lieu dargument, et où le reniflage de petites culottes pas nettes passe pour de linvestigation journalistique.
À ce préambule, vous avez compris que je vais dire deux mots de Jacques Pradel. En effet. Ainsi que du dernier show quil a sorti de sa boîte à Pandore. Ce truc sappelle en toute simplicité « lOdyssée de létrange », et ne me demandez pas ce que LOdyssée vient faire là-dedans. Jespère seulement que la veuve Homère touche des royalties de la part de TF1.
À première vue, le menu du fast-food pradelien avait tout lieu de me faire redouter lindigestion, mais, je ne sais pourquoi, ce soir-là, je me sentais héroïque et doté dun estomac dacier à linstar de Jacques Pradel lui-même. Je dois préciser que, jusquici, je navais jamais regardé une émission animée par Jacques Pradel. Pour moi, Jacques Pradel représente un cas, et sa mine de chanoine qui vient de se faire prendre, la main dans la braguette dun enfant de chur, et qui arbore une expression faussement contrite parce quil sait que lincident sera étouffé par son évêque, tout ça me procure le même effet que si je venais davaler une pinte dhuile de ricin. Quant à ses émissions, bien que je sois curieux de naissance, lidée que je puisse consacrer une soirée entière à une activité aussi tarte ne mavait jamais effleuré lesprit.
Circonstance aggravante, ce soir-là, je nétais pas en service commandé. Mais alors, pomme à lhuile, me direz-vous très justement, si tu nétais pas forcé demboucher lentonnoir à conneries de Télé-Poubelle, ques-tu allé foutre chez Pradel ? Cest une excellente question, et je vous répondrai que lâme humaine est insondable. Autrement dit, je nen sais rien : cest ça, mon côté irrationnel.
Je parlais donc du menu de lémission. Oh ! du tout venant : soucoupes volantes, photos dautopsie dun extra-terrestre (présentées par maître Jacques comme « le document le plus bouleversant quun homme ait jamais vu depuis le début de lhumanité », pas moins !), histoires de fantômes, poltergeist, lévitation, torsion de cuillères Ne manquaient que les tables tournantes. Avec, bien entendu, les cautions habituelles de personnalités supposées fournir un gage de sérieux à tout ce fatras. Javais ainsi relevé dans mon magazine de télé quelques noms connus : Rémy Chauvin, Jean-Pierre Petit, Jean-Yves Casgha, Yves Lignon, rien que le gratin. Que ces gens-là campent pratiquement à la télé, où on les ressort de leur boîte chaque fois que nécessaire, ne semble pas lasser le public habituel de ce type de spectacle, qui doit aimer revoir les mêmes têtes à intervalle régulier. Que voulez-vous, on shabitue : si ce nétait par la force de lhabitude, est-ce que les téléspectateurs de France supporteraient encore la tronche de Carreyrou, la fausse objectivité de PPD ou lautosatisfaction hilare de Jean-Pierre Pernaud, La publicité du pastis Pernod ne conseille-t-elle pas de le boire, additionné de cinq fois son volume deau ?que nul na encore songé à noyer dans cinq fois son volume deau ?
Il se trouve que les quatre personnalités susnommées ne me sont pas tout à fait inconnues, et je me réjouissais à lavance de les retrouver. Hélas, déception ! Faute de temps, comme on prétexte toujours à la télévision et parfois ailleurs, une seule des quatre a eu loccasion douvrir son clapet en deux heures de spectacle. Encore une occasion ratée !
Rémy Chauvin, chercheur authentique, intéressant à écouter lorsquil consent à rester dans le domaine quil connaît, à savoir la vie des insectes, a coutume, depuis quelques années, de délirer sur son hobby one (Kenobi) de fin de carrière, le paranormal. Rémy Chauvin a fait beaucoup de choses dans sa vie, mais ce quil fait de mieux actuellement, cest son âge. On loublia donc sur son banc de touche, tel un vulgaire Jean-Pierre Papin.
Il nétait pas le seul scientifique présent : un autre invité, lastrophysicien Jean-Claude Petit, a, lui aussi, enfourché un autre dada du supranormal et quil a fait sien, ce quil appelle « les univers parallèles », un vieux thème de la science-fiction quil a pris au sérieux ; regrettable dérapage, qui lui a coûté auprès de ses confrères une réputation jadis flatteuse et méritée. Au cours de la soirée, on a pu sans surprise lentendre gémir sur ce que les revues spécialisées appellent « la science officielle et ses mandarins », ces salauds qui font rien quà tromper le public et embêter les vrais savants comme lui en dissimulant des informations capitales sur les extra-terrestres. Que voulez-vous, la vérité est ailleurs. Air connu. Je passe.
Jean-Yves Casgha, lui, on ne la pas vu du tout, et il faut le déplorer : cet ancien chroniqueur de France Inter, qui produisait autrefois une émission du dimanche soir consacrée à létrange, a commis voici quelques années un livre qui mavait bien diverti ; ça sintitulait Les dossiers Science-Frontières, du nom dun festival quil dirigeait (autant faire sa pub dans ses bouquins !), et ça contenait notamment un inénarrable chapitre sur la fameuse « mémoire de leau », chapitre qui semblait tenir du canular, en dépit des intentions de lauteur, un sacré convaincu. Jy avais relevé des assertions aussi persuasives que « la température de 30 degrés est énorme », ou « leau devrait être un gaz » (qui en décide ? Le pape ? La reine d'Angleterre ?), ou encore, « une molécule deau, cest une pile », doù javais conclu que ce malheureux Alessandro Volta, linventeur de la pile électrique, la vraie, avait été une sacrée andouille de se donner tant de mal, alors quil suffisait de tourner un robinet pour en récolter par milliards, des piles, et gratuites. La caution scientifique dun Casgha, cest kif-kif la caution morale de « Voici ». Passons.
La dernière vedette médiatique, cétait Yves Lignon. Calamité ! Lui non plus, toujours « faute de temps », ne fut pas invité à mettre son grain de sel dans les plats mitonnés par le chef Pradel. Réparons cette lacune. Quand on présente Lignon dans une émission sur le paranormal, qui est son créneau et presque sa propriété, on le désigne invariablement comme « le professeur Yves Lignon », qui dirigerait « le laboratoire de parapsychologie de lUniversité de Toulouse-Mirail ». Ce qui laisse entendre quune université dÉtat entretient ce genre dendroit et subventionne ce type détudes. Or, Lignon, qui enseigne les mathématiques, est assistant, ce qui constitue le grade le plus bas il en existe trois dans la hiérarchie des enseignants en université, et non professeur, qui en est le grade le plus élevé ; dautre part, ses activités de parapsychologue sont purement privées. Mais, disposant dun bureau comme tous les enseignants de la faculté, il a simplement collé de sa propre autorité sur la porte dudit bureau une pancarte calligraphiée « Laboratoire de parapsychologie », que le président de lUniversité tente vainement, à coups de lettres recommandées, de lui faire enlever depuis des années. Ce qui prouve à quel point lÉducation nationale sait se montrer bonne fille sauf lorsquil sagit de sanctionner un prof de littérature qui a cru pouvoir lire à ses élèves de terminale un texte un peu leste de Verlaine et Rimbaud, comme jai eu récemment lhonneur de vous le narrer.
Ces ratés mis à part, la soirée ma pleinement satisfait. Après avoir présenté quelques cuillères tordues AVANT lémission, Pradel, vêtu de pureté candide à défaut de lin blanc, commente : « Cest assez impressionnant ! » ; mais lauteur de ces torsions plus tordantes quimpressionnantes avoue, lui, quil ne se livre plus à ce type dactivités, car, dit-il, « cest assez fatigant ». Effectivement, ce genre de tour commence à fatiguer pas mal de monde. Mais il faut croire que certains en redemandent, car on a pu voir également un prestidigitateur déformer une barre métallique en la caressant avec les doigts, ce qui là encore a beaucoup impressionné Pradel, visiblement peu familier avec ce que tout spécialiste de la métallurgie connaît sous le nom dalliage à mémoire de forme, un matériau qui a telle forme à telle température, et en prend une autre si on le chauffe ou le refroidit : un truc classique des magiciens, renseignez-vous auprès de Gérard Majax. Ce prestidigitateur (pas Majax : linvité de Pradel), qui avoue croire au paranormal sinon, il ne serait pas invité, je suppose , et qui a pour nom Ranky, se dit président dun machin au nom ronflant, le fantomatique « Comité Illusionniste dExpertises des Phénomènes Paranormaux », comité dont il est le seul adhérent, et qui na aucune activité. Son nom, Ranky, en fait un presque homonyme du magicien américain James Randi, une vraie pointure, lui, que les scientifiques sérieux sollicitent lorsquil sagit de déceler les trucages dont se servent les émules dUri Geller, LIsraélien Uri Geller a débuté comme prestidigitateur, mais il a trouvé plus rentable de faire croire aux gogos quil disposait vraiment de pouvoirs supranormaux, et sest spécialisé dans le tordage de cuillères « par la seule force de son esprit ». Lexcellent prestidigitateur Gérard Majax, qui est un esprit scientifique et a horreur des charlatans, la démasqué en public en refaisant les mêmes tours et en dévoilant la supercherie. Depuis, Geller, qui avait pourtant promis de « tordre la Tour Eiffel » (sic), est tombé dans loubli.le faux tordeur de cuillères
Dans un livre excellent, Le vrai visage de Nostradamus, Randi a aussi démasqué ce prétendu prophète français comme un ingénieux mystificateur. Si Randi ne vivait pas en Floride, cest lui quil faudrait inviter à Rien à cirer, pour répondre à Jean-Charles de Fontbrune, le commentateur prolifique des fameuses « prophéties » dudit Nostradamus. Michel de Nostradamus, médecin et écrivain, contemporain de Catherine de Médicis, a notamment écrit plusieurs centaines de courts poèmes au style particulièrement obscur, Les Centuries, dans lesquels les naïfs ont cru voir des prédictions.Randi parle français, et cest une mine danecdotes marrantes sur les charlatans et leurs tours de passe-passe à blouser les gogos ; on passerait un bon moment. Quoique Fontbrune n’est pas mal non plus. Souvenez-vous, quand ce spécialiste de Nostradamus avait cru comprendre que notre devin national avait prédit l’assassinat de Jean-Paul II à Lyon au début des années 80 !
Quoi encore ? La séquence poltergeist, en français « esprit frappeur », agrémentée de photos de petites filles en train de flotter dans les airs, le fameux phénomène dit « de lévitation » : chouette, une enfance passée en lévitant « Une enfance passée en lévitant... » est un calembour sur un slogan publicitaire très connu des années cinquante : « Un meuble signé Lévitan est garanti pour longtemps ».est garantie pour longtemps. Le phénomène, en tout cas, semble impressionner les téléspectateurs, qui téléphonent pour savoir qui, en France, soccupe dindemniser les victimes des esprits frappeurs. On espère que la Sécu va vite se saisir du dossier, ça urge, et justement, elle a de la trésorerie en rab, en ce moment.
À cette séquence aérienne déjà très persuasive par elle-même se mêlaient des voix doutre-tombe sorties tout droit du film Lexorciste, jurons inclus, et ce nest pas un hasard si la scène a été reconstituée daprès des événements survenus en Angleterre en 1977, année où ce genre de film était encore à la mode. Avec un humour au second degré, sans doute, et quon nattendait pas chez lui, Pradel demande à un témoin de lépoque de lui confirmer « solennellement, les yeux dans les yeux », quil a bien vu tout ça. Ça ne vous rappelle rien ? Si ! Le débat Chirac-Mitterrand pour la présidentielle de 1988 ! Cest bon, une cure de rajeunissement, de temps en temps.
En revanche, et croyez que je le déplore, bide total avec une expérience de télépathie : une ampoule électrique dissimulée est perçue, par les sujets chargés de deviner ce que cest, comme « un objet avec des couleurs et des parfums » ou comme un tire-bouchon ! Faudra me revoir tout ça en répétition pour la prochaine émission, cest pas au point, coco. Mais personne nest parfait du premier coup, et Pradel a bien le droit dessuyer les plâtres, dans la maison Bouygues.
Pourtant, je le confesse, le moment que jai préféré est le suivant : un agriculteur avait ramassé dans un champ des débris de soucoupe volante, et en avait remis un à Pradel, qui « lance un appel » à tout laboratoire acceptant danalyser lobjet, car, dit-il au témoin, « Vous navez pas les moyens de financer cette analyse, et nous non plus ». La cause est entendue, TF1 est fauchée ! Je lui suggère donc de faire des économies, en commençant par supprimer, devinez quoi !