Ce modeste recueil naurait jamais été rédigé sans... Édith Cresson ! Au début de son fulgurant séjour de Premier ministre à lHôtel Matignon, quelquun savisa de lui dire que sa politique avait sur la Bourse de Paris un effet négatif. Sûre delle-même et dominatrice, la fière Édith alors sécria de sa belle voix de crécelle : « La Bourse, jen ai rien à cirer ! »
Dans la mesure où cette expression na que peu à voir avec lentretien des chaussures, ce qui peut induire en erreur les étrangers, elle était audacieuse ; surtout dans la bouche dune femme quoique les murs, en ce domaine, évoluent à une vitesse croissante , et dun Premier ministre ! Mais la bouillante Édith ne faisait que suivre la nouvelle mode, mise à lhonneur par le délicat Michel Charasse, alors ministre du Budget, qui avait proclamé quelque temps auparavant : « Je ne suis pas de ceux qui se mettent un bâton dans le cul pour être plus raide ! »
Toujours est-il que ce mot de madame Cresson, dont Philippe Meyer prétend quelle possède le don de pouvoir faire regretter nimporte qui, ce mot, popularisé par les journaux, la radio et la télévision, connut une grande fortune. Et quelques semaines plus tard, à lautomne 1991, France Inter lançait sur les ondes une nouvelle émission intitulée Rien à cirer.
Cette émission, diffusée le dimanche matin de dix heures à midi, heure de grande écoute, était produite par un jeune animateur de vingt-huit ans, Laurent Ruquier. Havrais dorigine, et transfuge dEurope 1, il avait débuté sur France Inter deux ans plus tôt dans Le Vrai-Faux Journal de Claude Villers, travaillé quelque dix-huit mois sur Antenne 2 dans Ainsi font, font, font, lémission de Jacques Martin, et assuré durant lété 1991, toujours sur France Inter, lune de ces émissions bouche-trou dites pudiquement « dété », Ferme la fenêtre pour les moustiques, avec ses complices le comédien vétéran Jacques Ramade (il est né en 1928) et limitateur Pascal Brunner, lui aussi venu du Vrai-Faux Journal. Il va sans dire que ces trois émissions étaient de nature satirique.
Ramade et Brunner faisaient partie de la nouvelle équipe de Rien à cirer, enrichie peu à peu dune kyrielle dimitateurs et dhumoristes, lesquels se succédèrent jusquau dimanche 29 décembre 1996, date de la dernière. Ruquier sy révéla un producteur et un animateur hors pair, tel quon nen avait pas connu en France depuis Thierry Le Luron. Lesprit vif, sachant se moquer de lui-même, produisant du calembour au rythme dune mitrailleuse, travailleur acharné, impertinent quoique sociable et plutôt gentil, il partageait alors avec feu Le Luron le goût du direct (peu de ses émissions furent enregistrées pour passer en différé, sinon pour se ménager des vacances et faciliter des déplacements en province) et celui de la liberté dexpression, puisquil laissait à ses complices une totale liberté de parole. Naturellement, cela lui valut quelques ennuis, et lémission connut quelques dérapages, auxquels il mit bon ordre.
Rien à cirer connut un succès immédiat, et devint lémission la plus écoutée de France Inter. Bientôt, cette radio fut la deuxième station du pays pour le taux découte, après RTL, avant NRJ et Europe 1. Ce succès incita le directeur des programmes, Pierre Bouteiller, à en augmenter la fréquence, et Rien à cirer, durant une année, fut à la fois quotidienne du lundi au vendredi, non moins quhebdomadaire, puisquon rediffusa le dimanche les meilleurs extraits de la semaine précédente. Pour comble, la télévision fit des offres à Ruquier, et, pendant quelques mois, il y eut deux Rien à cirer par jour : à midi sur France Inter, puis en fin daprès-midi sur Antenne 2, et toujours en direct.
Ce rythme infernal ne pouvait être tenu longtemps, les redites agaçaient peut-être la fraction du public qui suivait les deux versions, et surtout, la formule à base de sketches écrits en hâte pour une diffusion unique à la radio ne convenait guère à la télévision laquelle remercia Ruquier au bout de quelques mois. Lannée suivante, et toujours sur France Inter, on en revint dabord à une seule émission par semaine, le dimanche matin, comme au début, puis de nouveau à une quotidienne, du lundi au vendredi.
Léchec relatif de sa tentative télévisée ne servit pas de leçon à Ruquier : à la rentrée de septembre 1995, on apprit avec stupeur que lémission passait, avec de gros moyens financiers, sur TF1 ! Dans lesprit des concepteurs de cette chaîne, qui sétaient hypocritement engagés à rester les « mieux-disant culturels » du P.A.F., elle devait rameuter les téléspectateurs afin quils restent plus nombreux, ensuite, devant le Journal de 20 heures. Mais lesprit de Rien à cirer était à ce point en contradiction avec les impératifs ultra-commerciaux et la vulgarité crasse de « Télé-Poubelle » quon ne prédit pas un grand avenir à la nouvelle mouture, rebaptisée Les Niouzes. En effet, elle dura cinq jours. Cette fois, Ruquier se le tint pour dit et revint à la radio, quil navait dailleurs pas quittée, ayant conservé sur France Inter une émission matinale quotidienne, Les ptits déjs. Il récupéra Rien à cirer dans la foulée.
Cest en plein succès que Rien à cirer fut supprimée, fin décembre 1996. Ruquier affirme quil a pris seul sa décision, parce quil finissait par sennuyer après plus de cinq ans de la même émission. Pourtant, on ne peut sempêcher de noter que, cette même année 1996, Pierre Bouteiller a été rétrogradé du poste de directeur des programmes à celui de simple producteur ; quIvan Levaï, directeur de la rédaction, a été congédié comme trop gauchisant, pour être remplacé par le navrant Jean-Luc Hees (laudience de France Inter chuta immédiatement, et la station repassa en troisième position, derrière RTL et NRJ) ; et que le nouveau président de Radio France, Michel Boyon, un ancien du cabinet de François Léotard et plus tard, de Raffarin , et qui ne devait faire quun mandat avant dêtre remplacé par Jean-Marie Cavada le 30 octobre 1998, nétait pas vraiment considéré comme un homme de gauche : la première décision de Boyon et de son directeur des programmes Jacques Santamaria fut de limoger Gérard Lefort, Devenu président de Radio-France, Jean-Marie Cavada nomma Bouteiller à la direction de France-Musique(s), et rappela Gérard Lefort pour remplacer Bouteiller à lantenne. Hélas, il plaça également Jean-Luc Hees à la direction de France Inter ! Peu gêné, ce dernier nimita pas la décence de Bouteiller, et conserva plusieurs semaines son émission quotidienne sur la radio quil dirigeait désormais. Imaginons ladministrateur de la Comédie-Française profitant des subventions publiques pour faire jouer ses propres pièces sur la scène quil gouverne Finalement, lexcellent et modeste Albert Algoud le remplaça, et Hees disparut de lantenne.journaliste de « Libération » et homosexuel militant, qui assurait depuis plusieurs années un excellent magazine hebdomadaire, Passé les bornes, lequel attaquait violemment la droite au pouvoir et la Mairie de Paris. Ultérieurement, Michel Boyon devint président du CSA, l’organisme régulateur de l’audiovisuel, et il y resta jusqu’en janvier 2013.
Et puis, il y avait peut-être une crise du recrutement : sitôt pourvus dune certaine notoriété, les équipiers de Rien à cirer sempressaient souvent de déserter, pour passer, soit à la télévision, soit sur une autre radio où les cachets sont plus élevés. Ce fut le cas de Pascal Brunner, Laurent Gerra, Laurence Boccolini, Virginie Lemoine. Il y eut aussi léviction, exigée par le même Santamaria, du meilleur élément, Didier Porte, journaliste et humoriste cinglant, plume insigne, mais trop à gauche pour demeurer en place, et que Ruquier ne défendit guère, hélas !
Bref, Rien à cirer semblait condamnée à ronronner. Elle mourut donc en pleine gloire, ce qui est la meilleure façon de mourir : Coluche, Desproges et Le Luron ne diront pas le contraire !
À la rentrée de septembre 1999, Ruquier quitta le service public et retourna sur une radio privée, Europe 1. Paradoxalement, cest ainsi que renaquit Rien à cirer sur France Inter, avec un nouveau titre allusif, Rien à voir. La formule était bien la même, ou peu sen faut, et Laurence Boccolini en était la patronne. Elle étoffa son équipe, fit appel à des humoristes de valeur comme François Morel, et rappela quelques anciens camarades, parmi lesquels Chraz, Christophe Alévêque et Didier Porte. Quoique lentement, le succès vint, dautant plus que lémission ne concurrençait pas celle de Ruquier, diffusée en fin daprès-midi : le public pouvait écouter les deux. Malgré cela, Laurence Boccolini ne tint pas plus de six mois, et fut débarquée sans le moindre préavis le 25 février 2000. Le lendemain de ce renvoi brutal, Jacques Chraz ma confirmé quil ne sagissait nullement dune démission, et lanimatrice ainsi réduite au chômage corrobora elle-même cette version trois semaines plus tard sur Canal Plus, révélant que Jean-Luc Hees trouvait son émission « vulgaire ». Pourtant, il nen modifia rien, ni la formule ni les participants on congédia simplement limitateur Jean-Éric Bielle, ancien des Guignols, et auteur de ses textes , et la repassa telle quelle à Stéphane Bern, dont ce nest pas lui faire injure que daffirmer quil fait moins le poids.Outre ses talents danimatrice, Laurence Boccolini est une excellente chanteuse, et possède le tour de taille dune diva.
Royaliste jusquau bout des ongles, le nouvel animateur improvisé se contenta de la rebaptiser Le fou du roi. Jusque là simple chroniqueur, Bern se trouvait promu sans y être préparé. Simple et gentil, sachant se moquer de lui-même, et plutôt modeste, il ne bouleversa rien et conserva la plus grande partie de léquipe laquelle, il faut lavouer, naimait guère Laurence Boccolini. Cest ce que ma révélé Didier Porte, auquel je disais ma surprise de voir un gauchiste comme lui travailler avec un royaliste !Cependant, le public présent dans le studio, et qui compte peu de jeunes, sembla, au début, apprécier médiocrement le changement : clairsemé, traînant les pieds aux consignes données, il applaudissait peu. Le succès vint plus tard, et il dure toujours.
Jai toujours été un amoureux de la radio. Lorsque jétais enfant, hormis les livres, la radio constituait le principal divertissement populaire avec le cinéma, bon marché en ces temps bénis, ce qui semble aujourdhui incroyable. Populaire et gratuite, détail non négligeable pour un enfant pauvre. Au fil des années, je suis resté un auditeur assidu des meilleures émissions, toujours sur France Inter, car, publiphobe, jai une profonde aversion pour les radios commerciales. Je me suis ainsi passionné pour les productions de Claude Villers, Pas de panique, puis Le Tribunal des Flagrants Délires, dont je parle dans une autre page, et Le Vrai-Faux Journal. Je ne manque jamais, le dimanche soir, Le masque et la plume, la seule émission où lon ose critiquer les films, les livres et les pièces de théâtre partout ailleurs, il ny a que publicité déguisée, voire éhontée , et il mest même arrivé dy prendre la parole. Jécoutais régulièrement les magazines acidulés de Pierre Bouteiller, lhomme qui, à la direction des programmes, a reconstruit France Inter et la hissée à une place honorable en récompense de quoi un président ingrat, médiocre et partisan la viré de son poste. Enfin, naturellement, je nai jamais raté Rien à cirer.
Les quelques textes qui composent ce recueil ont été écrits pour lunique plaisir décrire. Je me suis simplement imaginé faisant partie de léquipe de Rien à cirer, et astreint à produire des chroniques pour « rendre hommage » à linvité du jour ou faire le compte-rendu des émissions télévisées de la veille, un exercice classique chez Ruquier. Avec cette réserve toutefois : moins doué que dautres pour faire rire, jassume ici sans restriction ni complexe le rôle de linlassable râleur, personnage qui a peut-être manqué à lémission. Dailleurs, la référence à une émission de radio ne doit pas masquer le fait que ces textes ne sauraient être lus, ni sur scène ni devant un micro. Cela, pour trois raisons : dabord, ils sont souvent plus longs que de coutume ; ensuite, ils nobéissent pas à la règle suivie par les humoristes, et qui consiste à provoquer un rire toutes les vingt secondes sous peine de perdre lattention du public ; enfin, ils sont davantage pamphlétaires et informatifs que drôles.
Je me suis, néanmoins, beaucoup amusé à les rédiger. Jaimerais partager ce plaisir.
Enfin, certains détails pouvant sembler périmés, jai laissé les dates de première rédaction pour chaque chronique.