Chère Simone, ou plutôt, chère madame Veil, je suis très heureux de vous rencontrer aujourdhui. Un peu choqué, bien sûr, mais Euh pardon, excusez-moi, je crois que je me suis trompé. Oui, jai pris sans le vouloir le papier de Chraz. Chraz commençait toutes ses interventions par cette phrase à ladresse de linvité : « Je suis très heureux de vous rencontrer. Un peu choqué aussi, bien sûr... »Je me disais, bizarre, cest meilleur que dhabitude.
Bon, je reprends.
Chère madame, avouons-le, il mest très difficile, surtout après avoir relu votre dossier de presse, de vous balancer les vannes quici nous avons coutume de réserver à ceux de nos invités dont la tronche ne nous revient pas antipathie, je le précise tout de suite, nayant rien à voir avec leur aspect physique. Si vous nêtes pas convaincue, vous pourrez dailleurs vous le faire confirmer au siège de notre fan-club, dont la permanence est tenue à tour de rôle par nos grandes amies Arielle Dombasle, Lépouse de Bernard-Henri Lévy na guère apprécié la mise en boîte, dailleurs peu féroce, dont elle a fait lobjet lorsquelle vint à lémission. Élizabeth Teissier, Valérie Kaprisky et Tabatha Cash. Pour ma part, soit dit entre parenthèses, je ne plaisante jamais sur le physique des gens. Par crainte, disent gentiment mes camarades, des inévitables retours de bâton. Fin de la parenthèse.
Nos routes respectives, Madame, se croisent aujourdhui pour la première et sans doute dernière fois. Cependant, je vous connais bien, et cela, depuis ma tendre enfance. Étonnement de votre part ! Pourtant, si. Tout petit déjà, et comme la plupart des enfants, joccupais une partie de mes loisirs dété à la lecture des bandes dessinées, qui allaient de Tarzan à Robin des Bois, en passant par Big Bill le Casseur ou Gus et Gaétan, un peu oubliés aujourdhui. Mais je réservais une place à part à Pim-Pam-Poum, qui contait les méfaits dun duo daffreux jojos, dont lun se nommait Pam (rien à voir avec la pouf de Dallas dont TF1 nous re-gratifie) et lautre Poum, une paire de chenapans qui semaient joyeusement la zone chez les adultes ; lesquels, représentés par le Capitaine, lAstronome, et leur propre maman du nom de Pim, se vengeaient invariablement des tours pendables que leur jouaient ces deux garnements en leur administrant une fessée qui constituait la conclusion obligée de chaque épisode.
Oui, jy arrive enfin : madame Veil, votre ressemblance, toute de rondeurs bon enfant, avec maman Pim, est ce qui demblée ma frappé lorsque tout à lheure je vous ai vue pour la première fois « en vrai » pour parler comme le petit garçon dont vous avez ensoleillé, quoique involontairement, les après-midis de lectures naïves.
Ah ! certes, maman Pim était une femme du peuple, elle faisait plus souvent la lessive ou la tambouille que des campagnes électorales, elle shabillait plus volontiers au « décrochez-moi ça » que chez Chanel (Tati nexistait pas encore, et cette BD venait des États-Unis), et je ne pense pas quelle eût été capable de faire votre brillante carrière. En outre, un peu sotte, elle navait non plus aucun humour, ce qui est loin dêtre votre cas ; pour tout dire, vous cachez bien votre jeu, et, sous vos dehors débonnaires, quelle sacrée luronne vous faites !
Quand on pense quil y a une vingtaine dannées, alors quil était le Premier ministre de Giscard, Jacques Chirac vous surnommait affectueusement « Poussinette » ! Déjà, il manifestait cette désespérante myopie qui devait lui faire voir, en Édouard Balladur, un ami de dix ans (ben oui, puisque cétait il y a vingt ans : dix plus vingt, trente. Larithmétique, cest mon dada).
Mais ce nest pas tout : les surnoms, en fait, vous les collectionnez. Cest ainsi que vos collègues du gouvernement vous désignent du nom de « Mamie Nova », peut-être parce quils ont lhabitude de pédaler dans le yaourt. Pour lextrême droite, qui a toujours fait dans la délicatesse, vous êtes « lavorteuse ». Pour une bonne partie des Français, vous fûtes et restez « la mère Veil » nous sommes le peuple le plus spirituel du monde, ne loublions pas. Mais à mon avis, le seul surnom qui vous convienne et dont une autre vous a frustrée, quoique non sans motif, cest celui de « Dame de fer » ! Demandez plutôt à Philippe Douste-Blazy, le jeune ministre de la Santé, dont vous coiffez laction au ministère des Affaires Sociales, et dont on dit que vous ne le ménagez guère. Parce que, balladurien confirmé, il vous fait concurrence dans la courtisanerie, prétendent les perfides et les jaloux ? Je nen crois rien, bien sûr ; mais vous lavez tout de même surnommé « Douste-Blabla ». Ce qui prouve que vous aussi, vous avez le goût de distribuer les sobriquets (on ne pourrait pas savoir comment vous surnommez Pasqua, que cest notoire vous adorez également ? Non ? Tant pis. Ça aurait pu nous servir).
Ajoutons que votre penchant bien dissimulé pour la franche déconnade, dont un sérieux indice nous est pourtant fourni par votre seule présence au sein de ce congrès de quincailliers qui nous tient lieu de gouvernement alors quau contraire de vos collègues, aucune casserole ne tinte à vos basques , ce penchant, dis-je, vous en laissez parfois soupçonner lexistence lorsque, forçant la main des membres de ce distingué aréopage, vous les faites cracher au bassinet afin doffrir à leur patron Édouard Balladur le plus saugrenu des cadeaux de Noël : les uvres complètes de Rabelais. Rabelais, pour Balladur ! Ha ha ! On imagine le fils du Grand Turc feuilletant dun doigt hésitant, pusillanime, et probablement ganté de veau, le récit des aventures picaresques, toutes parsemées de ripailles et de beuveries sans compter les bruits incongrus de Gargantua, de Pantagruel, de Panurge ou de frère Jean des Entommeures ! « Marie-Jo, vous croyez vraiment que je peux lire cela ? Mon Dieu ! ». Tenez, dédaignons pour une fois les effets faciles quon pourrait tirer de cette joyeuse blague, par exemple en casant ici quelques citations scatologiques, débusquées sans trop de peine dans luvre du curé de Meudon (ben oui, Rabelais était curé !), et tournons ces quelques pages, comme on disait à la cour de son presque contemporain le roi Henri III. Plaisanterie des plus douteuses, je le reconnais volontiers. Henri III, frère de François II et de Charles IX, fils de la terrible Catherine de Médicis, fut roi de Pologne, puis de France. Comme la postérité prétend qu’il était homosexuel (invérifiable), la mode, sous son règne, devait donc de lêtre aussi. On peut alors supposer que, pour plaire au roi, quelques pages, ces jeunes garçons de laristocratie que leurs pères plaçaient « en stage »à la Cour pour quils y apprennent leur métier de nobles, se laissèrent « tourner » !Mais rien que pour cet exploit bibliophile, Ruquier devrait vous engager dans léquipe de Rien à cirer...
En tout cas, comme japprécie au plus haut point ce côté pince-sans-rire de votre personnalité, je me range résolument dans le camp de vos partisans, et il ne faudra pas compter sur moi pour vous taxer, notamment, de démagogie ; cela, sous le prétexte dune apparition que vous fîtes naguère à la télévision. Car, de Jospin chantant Les feuilles mortes chez Patrick Sébastien (ce qui lui valut, quelques mois plus tard, dêtre présenté en Israël comme « un célèbre chanteur de charme français » ! Il ne sen est pas vanté durant sa campagne électorale ), à Toubon se faisant percer le bras avec une aiguille à tricoter par un magnétiseur, en passant par Jack Lang mimant un sketch de Guy Bedos dans les bras de Miou-Miou, et je ne dis rien de Tapie car je fuis les effets faciles, les politiques nous ont tout fait sur le petit écran. Vous, cétait chez Dechavanne, alors à ses débuts sur Antenne 2, à une époque où il ne chevauchait point encore des cochons, et navait pas complètement achevé la mise au point du style pouët-pouët qui fait aujourdhui sa renommée et qui justifie son « modeste » salaire, Christophe Dechavanne perçut durant quelque temps, sur France 2, un salaire mensuel de vingt-deux millions de centimes. Il lança une tarte à la figure du journaliste qui avait révélé le fait. Quant à Pierre Suard, ancien pédégé dAlcatel, il était rétribué un million de francs par mois, et faisait régler par sa société ses menus frais, comme le système de protection qui équipait ses domiciles : les quatre millions ainsi détournés lui ont valu un procès en correctionnelle. Il déclara au journal de France 2 que son salaire était modeste, en comparaison de celui perçu par ses collègues américains argument récurrent chez les patrons français. Depuis, il a été condamné à une peine de prison avec sursis, à une amende de cinq millions de francs, et au remboursement des sommes détournées.comme dirait Pierre Suard. Interviewée par le juvénile Cri-Cri, vous aviez alors consenti à défaire votre célèbre chignon devant les caméras, déballant ainsi pour la première fois en public votre opulente chevelure qui fait tant denvieux du côté de chez Giscard. Placée dans latmosphère de la confidence, vous consentîtes même un aveu surprenant à lapprenti animateur de télé, en confiant certains aspects, inédits à ce jour, de vos goûts amoureux.
Cest ainsi que la France entière reçut avec stupeur de votre bouche cette révélation, et il vous en fallait, de la classe, pour risquer cette confidence : Simone Veil appréciait quon lui caressât longuement le dos ! Rigoureusement authentique, comme tous les faits cités dans ce recueil. Sinon, encore une fois, ce ne serait pas drôle.
Cest pourquoi, ébloui par votre non-conformisme, chère madame Veil, cest le mien que je courbe aujourdhui devant votre personne.